J’ai toujours aimé m’enrouler dans des couvertures. Plus jeune, je me tordais devant la télé tel un Pogo géant dans des édredons un peu raides d’avoir séchés dehors et que j’assouplissais en tournant comme une toupie déréglée sur le plancher du salon.
Puis, il y eut les jours de gros rhumes ou la doudoune devint aussi importante dans la guérison que la soupe de malade au poulet et nouilles…et bien plus efficace que le toujours si imbuvable sirop Lambert…
Plus tard, c’est bien lové au creux du sofa et bien entourée de moelleuses grosses couvertes et un gros sac de blé puffé, que j’écoutais mes émissions préférées, prétexte pour prétendre à une confortable solitude,jusqu’au jour où je rencontrais mon amoureux. Le précieux duvet ne servit plus qu’à camoufler des ébats timides quoi que délicieux.
Les Vieux disaient que c’est dans les fourneaux neufs que ce font les meilleurs gâteaux. J’ajouterais que c’est dans les vieilles doudous que naissent les jeunes amours…et les plus beaux bébés.
Polars, châle de laine blanc, drap de coton doux bercèrent les jours et les nuits de mes enfants et ont su leurs apporter joie et réconfort. Certains de ces doudous ont soufferts d’un excès d’affection au point de devenir d’effroyables guenilles effilochées, à ce point sales qu’elles auraient pu faire travailler le système immunitaire d’un escadron de marmot ainsi que toute leur suite au complet. Ce qu’elles firent probablement.
Puis ce fut moi qui reprit goût à ma doudoune, sans doute prise un peu de la nostalgie du temps d’avant ou parce que mon bien aimé me délaissa au salon pour les longs bras tendres,soyeux et soudainement si attrayants du Lazy Boy…
Les soirs d’été se firent aussi plus caressants, assis devant un bon feu, une couverture molletonnée sur les jambes, un verre de rouge à la main, ;la tête levée vers les étoiles ou vers les yeux de mon compagnon de vie.
Mais voilà que j’hérite d’un bien étrange cadeau, plié en 4, débordant d’une boite, comme un peu de trop, embarrassant mes yeux à la fois songeurs et contrariés:
Qu’est-ce que j’allais bien pouvoir en faire?
Son histoire est pourtant captivante même si elle débute dans un mouroir. C’est à dire dans la section des soins palliatifs d’un hôpital où quelqu’un attend, tout entortillé sur lui même qu’une ambulance se prête au jeu d’effectuer un trajet en sens contraire et le ramène comme si c’était tout naturel, à la maison…pour mourir tout aussi naturellement…
Pour effectuer ce voyage surnaturel, les ambulanciers le couvre doucement d’une couverture de polar aussi jaune qu’il est permis de l’être et où se répète à profusion de grandes lettres écrites en noir.
Elle est laide mais le patient s’y accroche aussi sûrement qu’il peut l’être devant la mort qui s’en vient comme si elle avait tout son temps. Tellement qu’enfin arrivé chez lui, soudainement attendris, les ambulanciers contre toute attente et toutes les règles administratives, lui laissèrent la chose.
Elle l’accompagna dans une soudaine remontée de vie provoquée sans aucun doute par un retour dans ses affaires,ses habitudes,son monde.Elle le suivit dans sa longue et douloureuse descente ,ponctué du sommeil artificiel provoqué par la morphine.
Elle faillit l’envelopper quand vint le temps de déménager dans un appartement plus petit et plus abordable où il aurait les moyens de mourir… Mais l’équipe d’ambulanciers moins compatissant que leurs confrères d’avant,certains diront plus professionnels,voulurent ravoir le bien public conformément au règlement, sans plus attendre la fin.
La doudou devint alors objet de résistance puisqu’elle disparue d’un coup de pied agile dessous un bureau,puis une chaise, pour s’immobiliser derrière une porte sous le nez des contrariants auxiliaires médicaux qui durent abandonner la bataille avant même qu’on se soit vraiment engager à la débuter.
On la déplaça donc vers le dernier lieu,envelopper tel un lange,les derniers vestiges d’un corps amaigri au point où les os perçaient la peau.Elle devint dès lors une protection, certes éphémère mais véritable pour escorter l’homme vers sa destination finale.
Et voilà que dans les boîtes qui constituent mon héritage,se retrouve l’objet,lavé et un peu raide, propre et capable d’évoquer la nostalgie sans toutefois être réconfortante.
Un bien familial inexploitable.Un trésor d’inutilité.
Bon à retourner vers le bien commun.
J’appellerai demain….